vendredi 29 mai 2015
Le piratage d’e-mails de Stratfor, une agence gouvernementale de renseignement, par Jeremy Hammond, a entraîné un élan mondial de solidarité, exposant la manière dont les 1 % ciblaient les activistes dans le monde entier.
Les médias grand public ont consacré des centaines d’articles au lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden, qui a même fait l’objet d’un documentaire oscarisé intitulé “Citizenfour”, mais ils n’ont pas consacré le même niveau d’attention à bien d’autres lanceurs d’alerte et prisonniers politiques, comme Jeremy Hammond, sans tenir compte de l’importance des faits qu’ils avaient révélés.
En novembre 2013, un tribunal fédéral a condamné Hammond à 10 ans de prison pour avoir pris part au piratage de Strategic Forecasting, une agence de renseignement gouvernemental basée à Austin au Texas, que l’on surnomme aussi Strafor. Œuvrant au nom de Lulzsec, un célèbre sous-groupe des Anonymous, Hammond a divulgué 5 millions d’e-mails privés de Strafor en les publiant sur le site Internet WikiLeaks, une publication qui fut ensuite appelée “Global Intelligence Files” (“les fichiers de renseignements mondiaux”), ou GI Files.
Les e-mails révélaient que Stratfor rassemblait des renseignements au nom de corporations privées tout en partageant des informations sensibles avec les autorités fédérales et locales. Par exemple, la compagnie espionnait les Yes Men pour le compte de Dow Chemical, après que les activistes aient publiquement humilié Dow au nom des survivants de la catastrophe chimique de Bhopal, en 1984 en Inde, qui avait fait des milliers de morts. Au même moment, Stratfor collaborait avec les forces de police du Texas pour infiltrer le mouvement Occupy Austin durant les premiers mois qui ont suivi la formation du groupe en octobre 2011.
Un tweet récent de @YourAnonNews, l’un des plus importants comptes Twitter lié au mouvement des Anonymous, comparait explicitement Hammond à Snowden :
A lot of people don’t even know who Jeremy Hammond is. He’s the original Snowden. #TrapWire #Stratfor #Anonymous — Anonymous (@YourAnonNews) April 20, 2015
Traduction : Beaucoup de gens ne savent même pas qui est Jeremy Hammond. Il est le Snowden originel.
Pour comprendre l’importance du piratage de Hammond, et pour examiner la comparaison entre ces deux lanceurs d’alerte, MintPress News s’est entretenu avec deux personnes ayant communiqué avec Hammond en prison, et ayant bénéficié de son travail.
“La première et la plus importante différence, c’est que Snowden n’est pas en prison, tandis que Jérémy l’est”, m’a dit Crispino.
Alors que Snowden peut communiquer avec des activistes, des journalistes et des ingénieurs informaticiens par vidéoconférence depuis la Russie, Hammond est limité dans ses communications à l’écriture de lettres qui peuvent être censurées ou bloquées par les autorités carcérales. Cependant, la différence va encore plus loin, explique Crispino, parce que Hammond est un partisan sans faille de l’abolition de la prison.
“Snowden nous transmet un message de réforme”, explique-t-elle. “Comme si nous n’avions qu’à modifier une certaine chose, pour que tout rentre dans l’ordre en ce qui concerne la surveillance corporatiste et gouvernementale. Tandis que Jeremy nous dit que tout cela est détestable, et doit être entièrement démantelé”.
Elle ajouta que Hammond, comme son frère Jason, lui aussi incarcéré, avait par le passé participé à des actions violentes contre des néonazis de Chicago.
Lucas souligna le fait que les GI Files exposaient une partie de la surveillance états-unienne normalement invisible et complètement exempte de responsabilité. Lorsque les médias citent des employés de Stratfor, comme Fred Burton, vice-président du service des renseignements, les reporters remettent rarement en question l’exactitude de leurs propos.
Lucas donna des exemples de détails clé souvent révélés par les e-mails : “à qui Stratfor vendaient-ils leurs renseignements ? Que faisait Fred Burton le jour où il s’est adressé aux médias ?” La fuite lui permet de reconsidérer les déclarations du gouvernement et de Stratfor, au regard des faits appris rétrospectivement.
En comparant Snowden et Hammond, Lucas souligna le fait que les médias grand public étaient plus réticents à parler de l’affaire Stratfor, étant donné que les clients de Stratfor étaient sans doute leurs sponsors publicitaires :
“Les journalistes ont un rôle important dans le contrôle de l’information que reçoit le public. Il est plus sûr, pour le business et l’approbation éditoriale, de parler d’un lanceur d’alerte ayant divulgué des informations sur le gouvernement fédéral, l’adversaire traditionnel des journalistes d’investigation influents, que sur un lanceur d’alerte qui a piraté des informations révélant que des polices locales collaboraient avec des espions de corporations”.
La fuite de Stratfor de 2011, grâce à Hammond, s’est produite à un moment où les médias sociaux étaient utilisés de manière complètement inédite, à travers le monde, pour soutenir les mouvements d’activistes comme Occupy Wall Street et les printemps arabes, et à l’apogée de la puissance du collectif des Anonymous. Tout comme Snowden a révélé au monde la surveillance de masse des États-Unis, Crispino explique comment la fuite des e-mails a accru le sentiment de solidarité mondiale prévalent au moment de la publication des GI files.
“Vous pourriez vous demander ce que j’ai en commun avec les gens de Bhopal qui se battent pour la justice et les réparations”, demanda-t-elle rhétoriquement. “De prime abord, il semblerait que je n’aie rien de commun avec eux”.
Elle poursuivit : “je pense que l’une des choses les plus importantes qui ait émergé des révélations Stratfor, c’est la capacité que cela a donné aux activistes de se soutenir mutuellement à travers le monde, de comprendre et d’observer ces connexions d’une manière très importante pour LA lutte.”
Et bien qu’il soit emprisonné, ajouta-t-elle, Hammond exhorte ceux qui le soutiennent à exprimer leur solidarité à l’égard d’autres prisonniers politiques comme Alvaro Luna.
Crispino a souligné une dernière différence entre Snowden et Hammond : tandis que Snowden a infiltré la surveillance d’État, Hammond a agi ouvertement et effrontément sous l’égide des Anonymous.
“Jeremy n’a pas fait qu’infiltrer Stratfor discrètement. Il est entré avec fracas et a fait en sorte de réduire Stratfor en pièces”, conclut-elle. “Cela leur a pris six mois pour que leurs serveurs soient à nouveau opérationnels !”