jeudi 10 mai 2018
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Au Kurdistan, Bahar, commandante du bataillon « Les Filles du Soleil », se prépare à libérer sa ville des mains des hommes en noir, avec l’espoir de retrouver son fils. Une journaliste française, Mathilde, vient couvrir l’offensive et témoigner de l’histoire de ces guerrières d’exception. Depuis que leur vie a basculé, toutes se battent pour la même cause :
Le 3 août 2014, dans les montagnes du Sinjar du nord de l’Irak, les troupes de Daech déferlent sur tout le territoire de la minorité yézidie. C’est alors le dernier territoire à conquérir entre le sud de l’Irak et la Syrie qui permet une unification stratégique de Daech. L’offensive est simultanée dans toute la région et prend les 300 000 Yézidis qui vivent là par surprise. Les membres de Daech massacrent les hommes et raflent les femmes qui n’ont pu s’enfuir.
Les rares témoins font état d’un génocide - des centaines de corps jonchent la montagne, des fosses communes sont creusées.
Les femmes et les fillettes sont regroupées, puis distribuées et utilisées comme marchandises sexuelles, mariées de force, torturées, vendues comme esclaves ; les petits garçons sont eux regroupés dans des écoles pour djihadistes, où on leur
apprend à tuer dès l’âge de trois ans. Plus de 7000 femmes et enfants sont ainsi capturés.
S’ensuivent deux ans d’horreur, de captivité, d’évasions, de tentatives désespérées des acteurs politiques de la communauté yézidie pour obtenir de l’aide, qui ne vient jamais vraiment. Des femmes parlementaires yézidies remuent ciel et terre pour obtenir de l’aide des États-Unis et de la communauté internationale. Quand ces espoirs sont déçus, des réseaux autonomes de résistance et de libération des captifs se mettent en place.
En parallèle, des unités de combattants yézidis se mettent en place avec les YPG, la branche armée syrienne du PKK, et les Peshmergas, les militaires kurdes irakiens.
Petit à petit, de plus en plus de femmes prennent les armes, jusqu’à la constitution d’une unité de combattantes yézidies, les YJE, les Bataillons de Femmes Yézidies. Elles n’ont plus rien à perdre et s’acharnent, au-delà des luttes politiques internes et du poids d’une société patriarcale, à prendre en main leur dignité, convaincues que la barbarie doit être combattue, qu’il vaut mieux mourir debout qu’à genoux.
Leur supériorité psychologique : les soldats de Daech sont convaincus que s’ils meurent de la main d’une femme, ils ne pourront pas aller au paradis. Ces combattantes les terrorisent.
La bataille du Sinjar dure quinze mois. Elle amorce la fin de l’État Islamique en Irak avec la reprise de Mossoul et des derniers bastions djihadistes du pays à l’été 2017. La chute de Raqqa, la capitale syrienne de Daech, deux mois plus tard, marque le déclin de l’emprise islamiste sur la région. Mais on ignore toujours le sort de plus de 2000 de ces femmes yézidies kidnappées au Sinjar. Celles qui ont pu être libérées doivent maintenant affronter un difficile retour dans leurs familles et leur communauté.
Les Yézidis sont une minorité sans État, établie principalement dans le nord de l’Irak, et dans une moindre mesure en Syrie, Turquie, Géorgie et Arménie. Ils pratiquent une religion monothéiste syncrétique qui agrège des éléments de zoroastrisme, de christianisme et d’islam entre autres, peu comprise par les communautés avec qui ils vivent, car ils ont conservé une endogamie qui les isole.
Le PKK a depuis peu intégré les Yézidis dans ses troupes de combattants kurdes. Bien que l’Irak soit un état unique, il est en fait le résultat catastrophique de frontières artificielles décidées à la décolonisation avec le traité de 1916 de Sykes-Picot, qui a constitué deux territoires géographiques avec des populations qui se sentent totalement étrangères les unes aux autres.
La population du nord, les Kurdes, a créé la province la plus stable de la région, le Kurdistan irakien, qui est autonome et plutôt bien gérée malgré le poids des quelques 2 millions de déplacés actuels, dont 300 000 Yézidis. L’autre population du sud est arabe et majoritairement chiite, minoritairement sunnite. D’autre part, pour bien comprendre l’extension de la violence faite aux Yézidis, par-delà les éléments qui sont compréhensibles immédiatement, il faut intégrer ce facteur qui peut échapper à une première lecture occidentale : ce sont des populations de culture dite de haute intensité et, au Sinjar, l’individu existe principalement par et pour le collectif – de sa naissance à sa mort, un homme ou une femme yézidi-e s’inscrit fondamentalement et irrémédiablement dans un noyau familial étendu, très soudé, qui constitue son socle sociétal. L’individu, isolé, n’a pas de raison d’être.
Ces deux dernières années ont poussé les femmes yézidies à prendre une importance qu’elles n’avaient jamais eue dans leur société, comme la Première Guerre mondiale avait mis les femmes d’Europe au premier plan.